Différents, mais vivants (ou comment faire son deuil?)...

Hier, j'ai vécu une situation vraiment spéciale, en ayant l'impression d'avoir fait la gaffe du siècle...

J'assistais à une formation sur l'intégration des enfants en classe ayant un trouble de langage. J'y étais à titre d'enseignante, mais je portais aussi un autre chapeau.  Celui de maman de deux enfants ayant des troubles de langage: une étant en classe de langage et un autre étant intégré en classe régulière.

Tout au long de la journée, l'émotion m'animait. J'étais à la fois excitée (c'était très intéressant), mais aussi bouleversée par la réalité de ces enfants, mes enfants, qui ne pourront jamais guérir de ces troubles neurologiques que sont la dyspraxie et la dysphasie.

Àprès le dîner, nous avons visionné un extrait vidéo d'enfants dysphasiques qui s'exprimaient sur leurs vies, leurs rêves, etc... Ça en était trop pour moi, je me suis mise doucement à pleurer, cahchée par mes cheveux, utilisant mon foulard pour éponger mes larmes, moucher mon nez.

Un peu plus tard,  une collègue parlait des parents qui refusaient que leur enfant aille en classe de langage, que le deuil ne devait pas être fait, que c'était difficile d'intervenir, etc... Et là, j'ai manqué l'occasion de me taire.

Depuis 7 ans, je vis de petits et grands deuils, j'apprends que la liste des extras de mes enfants se rallonge, que je vais à mille rendez-vous, que j'investis temps et argent dans la réadaptation, des loisirs adaptés, que je craque parfois quand la pression est trop grande, que je remarque et que j'entends les gens (des inconnus, des connaissances, des amis, de la famille) autour de nous, que les différences sont de plus en plus grandes, etc...

Et pendant ces années, j'ai aussi reçu l'aide de plusieurs intervenants ( médecins,  psychiatres, travailleuses sociales, neuro-psychologues). Une comparaison est souvent revenue lors de ces rencontres.  La première fois, c'est mon médecin (qui venait de perdre son mari d'un cancer fulgurant) qui m'a dit que contrairement aux familles qui faisaient fassent à un cancer, nous, les parents d'enfants "différents", on n'avait jamais de répit, qu'on ne pouvait par faire notre deuil, que la société n'avait pas grand chose à nous offrir (comme les associations et fondations pour le cancer) qu'une thérapie en ergothérapie n'apportait pas le même vent de sympathie qu'un traitement en chimiothérapie, que ce n'était pas une raison d'absence du travail aussi noble, etc...

Cette comparaison (boiteuse, je l'avoue) est revenue plusieurs fois pendant ces années. C'est vrai que dans certains cas, les histoires finissaient mal. Mais encore là, un deuil pouvait commencer, alors que pour les parents comme moi, les deuils se multiplient comme les années passent. Cette pensée, malgré ce qu'elle pouvait comporter (ici, ça me gêne d'en parler, de me mettre à nue), m'a souvent aidée.

Mais hier, à la formation, quand j'ai voulu expliquer que c'était difficile de faire notre deuil, que j'ai évoqué l'exemple d'un cancer (j'aurais dont dû prendre un autre exemple ou juste me la fermer), une collègue m'a répondue que c'était faux, qu'elle avait perdu un fils d'un cancer, qu'elle ne serait jamais capable de faire son deuil et que moi, ma fille était toujours vivante.

Oh! Que je me sens mal depuis. Et quand je pense à mes amies qui ont perdu un enfant les dernières années, je me sens encore plus mal...  Je pense que cette pensée me faisait de bien, sans jamais avoir de mauvaises pensées pour les autres, sans même prendre le temps d'y penser, trop prise dans mes propres peines, vivant en mode de "survie", essayant juste de ne pas baisser les bras.

À la fin de la formation, je suis allée m'excuser à cette dame.  Nous avons échangé quelques mots, l'émotion était palpable, deux mères en pleurs, endeuillées, ayant des chemins différents, des avenirs différents, mais portant une douleur non quantifiable, non comparable, mais bien réelle.

Ce soir, en bordant mes enfants, je me suis attardée plus longtemps pour les serrer dans mes bras. Mes enfants sont différents, mais tellement plein de vie, entourée d'amour, tellement... Vivants.

Commentaires

  1. J'ai été très touchée par ton billet mamanbooh. Tu sais, quand on vit des choses difficiles à comprendre et à gérer, on prend souvent, comme toi, des moyens, des pensées qui nous empêcherons de sombrer d'avantage. Quelles soient fausses ou non, elles t'ont aidé mais voilà, tu as apprit une bonne leçon ma belle mamanbooh... tu n'es pas seule. Les peines et difficultés semblent tellement différentes mais oh comme elles sont si près. Et c'est vrai qu'on doit faire des deuils dans la vie mais tu y gagnes beaucoup aussi.
    xoxo

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  2. Tout ça fait réfléchir. Et qu'en est-il des parents qui refusent de faire des deuils? J'ai décidé d'accepter mes enfants tels qu'ils sont, ils sont comme nous tous uniques. Quand tu parles d'extras, tu fais référence à quoi? À une certaine normalité, un moule dans lequel tes enfants devraient entrer. On s'est créé un beau monde de buts à atteindre dans la vie et tous ces objectifs nous empêchent de vivre la vie telle qu'elle est. Nous avons créé un standard qu'il faut atteindre à tel moment dans sa vie. Et ça n'arrête jamais, même pour les parents qui ont des enfants 'normaux'. J'ai fini par remarquer qu'ils s'inquiètent autant que moi que leur enfant s'intègre bien à la normalité. Mais comme tu l'as si bien écrit, qui mène une vie normale de nos jours? On passe notre vie à faire des deuils pour des normes qui n'existent même pas. Personnellement, je trouve qu'il est grand temps qu'on commence à savourer la vie, même dans les épreuves qu'elle nous envoie à tous. Plus facile à dire qu'à faire. Il faut donner un sens à tout ça. Et pour ça, il faut contribuer à changer les mentalités. Il reste évidemment beaucoup de travail à faire. Un film à voir à ce sujet sera sûrement le plus récent documentaire de Hugo Latulippe : http://alpheedesetoiles.radio-canada.ca. Je vous recommande aussi le livre d'Anat Baniel 'Kids beyond Limits' qui nous invite à l'espoir. L'idée n'est pas de se mettre la tête dans le sable et d'éviter les défis, simplement de redonner à chacun le rythme qui lui convient pour s'épanouir.
    Continue ton beau travail de sensibilisation Julie, c'est essentiel.
    Geneviève

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  3. À tous les jours je me rappel la chance d'avoir un fils en relative santé. Fiston est diagnostiqué Dysphasie, Dyspraxie, TED, TDA sans H et charcot Marie Tooth (famille dystrophie musculaire)Mais rien de ça n'est mortel.

    Ce n'est pas un deuil, c'est une acceptation ou plutôt un révision de ce que nous voulions pour nos enfants. C'est comme ça que je le vois. Nous voyons des limites à ce qu'ils pourront faire au lieu de voir ce qu'ils accomplissent.

    Fiston est entré au secondaire cet année en classe adapté et il adore ça. Il se développe bien, s'adapte bien, adore l'école, commence à penser à ce qu'il veut faire plus tard. Comme les autres, il est différent mais pas tant que ça, et surtout il est un bel ado qui rend ses parents très fière.

    Désolé pour le roman, c'est un sujet qui me touche beaucoup parce que je me suis souvent fait dire "comment tu fais?" et je déteste ça. Ce sont des enfants, c'est tout.

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  4. Permettre aux parents de « Faire le deuil de l’enfant parfait » à l’annonce d’un handicape, d’une malformation, trisomique d’une maladie : cancer, sclérose en plaque …. Est-ce que l’on aborde en école d’auxiliaire de puériculture (mon job) Non très peu le conseil c’est : « le temps »rien d’autre et encore moins concernant les handicapes invisibles. Oui moi je trouve qu’il faut faire ce deuil care il ne faut pas ignorer ces disfonctionnements oui ça nous complique beaucoup la vie tout de même le temps que le couple a pour se retrouver en tête à tête, entre amis, le sport, le spa … Mais il nous faut garder notre énergie pour leur rééducation ….Je pleure parfois aussi dans mon foulard lors d’un débat, un film concernant le devenir d’un enfant tout et n’importe quoi…. Je me posse trop souvent la question sur le devenir de mes garçons aujourd’hui moins pour mon grand car il est enfin diplômer dans un domaine qu’il l’intéresse …mais pourra t-il évolué professionnellement ?Maintenant mon énergie rejoint par celle de son papa pour mon p’tit dernier ….face aux enseignants ….aux listes d’attente pour obtenir un RDV avec les thérapeutes surbooké….Oui c’est pas le même deuil que de perdre un enfant ou un parent mais nous avons troquer un mode de vie contre un autre rempli d’explications et de diplomatie oui mon fils a 11 ans et tombe encore en courant oui il ne marche pas vite ne rattrape pas une balle se Sali en mangeant ne sait pas faire ses lacets mais qu’est ce qu’il me fait rire lorsqu’il essaye de négocier une tache un restaurant ou un film le soir ou encore un trajet en voiture pour ne pas marcher 10minutes….et je pleure aussi lorsqu’il pleure par ce qu’il a subit des moqueries à l’école, au sport, avec ses copains oui ils sont différents et oui nous les avons prêt de nous mais tout les jours nous payons le prix et pour rien au monde nous voudrions les échangés.
    Merci pour vos billets.

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  5. J'ai les larmes aux yeux... bravo pour ce billet... je n'ai pas d'autre mots.

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  6. Bonjour,
    j'ai pleuré devant votre article.
    Au départ parce que je pleure beaucoup face la dyspraxie de mon fils, diagnostiqué depuis 4 mois, puis ensuite à lecture de la comparaison au cancer, la colère m'a envahi. J'ai vécu les deux situations indirectement... Je suis maman d'un petit dyspraxique et adolescente j'ai perdu ma soeur d'un cancer. Je rejoint votre collègue, on ne peut pas comparer ces deux situations... Votre médecin vous a parlé de la perte de son mari mais pas de la perte d'un enfant... J'ai vu mes parents dévastés depuis que ma soeur nous a quitté, cela fait 20 ans maintenant et le deuil n'existe pas à mes yeux, ils ne l'ont jamais fait et jamais ils ne pourront la serrer dans leur bras et lui dire combien ils l'aiment. Je peux vous dire que leur souffrance comparée à la mienne en tant que maman d'un petit dyspraxique n'est rien... et pourtant je souffre aussi de voir que mon enfant ne guerira jamais de sa dyspraxi J'ai été heureuse de découvrir à la fin de votre article, que vous aviez pris conscience de cela...

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  7. Ouch !
    Quoi qu'il en soit, la dame a raison : tes enfants sont encore là, tu peux toujours les serrer dans tes bras. Cependant, faire autant de petits deuils que tu en fais, moi qui ai appris que mon fils a de la diplégie spastique et que peut-être il ne marcherait jamais tout à fait normalement, qu'il aurait peut-être des problèmes d'apprentissage, je te comprends.

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